Israël. Une logique colonialiste, militariste, austéritaire

04.08.2014

Categories: Embargo militaire

Le site alencontre a traduit un entretien de Shir Hever par le quotidien Il Manifiesto.

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Israël est l’un des premiers exportateurs d’armes dans le monde. Après l’opération de 2012, les ventes ont atteint quelque 7 milliards de dollars au minimum. En ira-t-il de même après l’opération «Bordure protectrice» ?

Shir Hever : L’industrie militaire israélienne est un des secteurs les plus significatifs de l’économie. Elle représente 3,5% du PIB, à quoi il faut ajouter 2% de «ventes internes». Israël n’est pas, de loin, le plus important exportateur d’armes au monde. Mais il est en première position si l’on calcule les ventes d’armes par tête de citoyens. L’industrie militaire, de plus, a une énorme influence sur les choix gouvernementaux.

Après chaque attaque contre Gaza ont été organisées des expositions au cours desquelles les compagnies privées et étatiques présentaient leurs produits, ceux utilisés et testés sur la population gazaouie.

Les acquéreurs ont confiance parce que ces divers produits ont démontré leur efficacité. Cette guerre augmentera de manière significative les profits de l’industrie militaire. Il suffit de savoir qu’il y a peu de jours l’industrie aérospatiale israélienne a lancé un appel aux investisseurs privés pour la production d’une nouvelle bombe. Ils ont récolté 150 millions de dollars ; 100’000, ou plus, pour chaque Palestinien tué. Et ces ventes commencent alors que l’opération est encore en cours.

Si l’industrie militaire croît, le secteur privé de l’économie israélienne ne subit-il pas des pertes significatives ?

Les coûts civils de l’attaque sont, sur ce plan, de trois ordres. Le premier, se payer par le budget public. En effet, l’accroissement des dépenses pour l’armée se fait au détriment des services publics. Chaque attaque implique toujours des coupes dans l’éducation, la santé et les transports publics. Avant que commence ce nouveau round dit de violence, des secteurs politiques du centre avaient tenté de réduire le budget de l’armée et d’opérer des transferts en faveur des services sociaux. Et comme par hasard, peu de temps après, a été lancée l’opération «Bordure protectrice», ce qui traduit l’énorme influence du système militaire sur les politiques du gouvernement. A cela s’ajoutent des coûts directs et indirects pour l’économie civile. Des roquettes ont fait quelques dommages à la propriété et des personnes, dans certaines régions d’Israël, ont peur de se rendre au travail. Diverses fabriques ont suspendu leur activité et des fermes agricoles sont inactives ; ce qui peut être aussi lié à la mobilisation de l’armée dite de milice. Enfin, il y a des coûts indirects comme ceux supportés par le secteur touristique. Beaucoup de firmes auraient dû recevoir des délégations d’entrepreneurs étrangers qui ont supprimé leur visite et se sont même rendus dans d’autres pays pour conclure des affaires [1].

Gaza est-elle un marché captif contraint à l’achat de produits israéliens ? L’agression ne prétérite-t-elle pas les firmes qui vendent dans la bande de Gaza ?

En réalité, ce n’est pas le cas. Gaza est certes un marché captif, mais elle assurait beaucoup plus de profits avant le début du blocus en 2007 [l’armée et les colons ont évacué Gaza en septembre 2005, mais le blocus ainsi que le contrôle de ressources fondamentales équivalent, y compris juridiquement, à une occupation]. Avant le blocus, il était beaucoup plus facile pour les compagnies israéliennes d’envoyer leurs propres produits dans les supermarchés de Gaza et d’exploiter une main-d’œuvre à bon marché. Si le blocus était levé, l’économie israélienne pourrait exploiter beaucoup plus le marché composé de 1,8 million d’habitants, une communauté qui n’est pas en condition de produire à hauteur de ce qu’elle peut consommer.

Cette nouvelle attaque pourrait-elle renforcer la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions contre Israël ?

Il y a eu une croissance significative de la campagne BDS dans le monde et on le perçoit au travers des réactions de certains membres du gouvernement. Le ministre de l’Economie, le colon Naftali Benett, cherche à augmenter les échanges commerciaux avec la Chine, le Japon, l’Inde et, de la sorte, de se libérer beaucoup plus de la dépendance face au marché européen, où le BDS a le plus d’impact. Il y a deux jours, l’Institut israélien de statistique a enregistré un tassement de la valeur des exportations, et cela avant que l’opération militaire commence. Au premier semestre 2014, le total des exportations a chuté de 7% et de 10% vers les pays asiatiques, ce qui renvoie à un tassement de l’économie mondialisée. Beaucoup d’entreprises exportatrices ont réclamé une réunion d’urgence avec le gouvernement pour traiter de cette crise.

Certains considèrent que cette attaque est aussi liée au contrôle des ressources énergétiques sur les côtes de la bande de Gaza. 

Je ne crois pas qu’il y a un lien direct. Israël a déjà commencé à exploiter ses propres gisements et à signer des accords avec la Turquie, Chypre et la Grèce. Si un jour, hypothétiquement, les Palestiniens seraient capables d’exploiter leur propre gaz, ils ne trouveraient pas de marché parce qu’Israël se sera déjà accaparé une aire de la Méditerranée et sera capable de vendre à des prix inférieurs sa production d’hydrocarbures. Les gens qui durant ces jours assistent au massacre et à la destruction d’infrastructures n’imaginent même pas le moment où les Palestiniens pourraient développer leur propre économie interne.

De l’extérieur, il semble que le gouvernement israélien n’a pas à l’esprit une stratégie sur le long terme, mais qu’il tente de maintenir une sorte de statu quo propre à l’occupation. 

C’est à peu près cela. L’actuel gouvernement n’a pas de stratégie politique, il s’est engagé dans une impasse. Il sait qu’Abou Mazen (Mahmoud Abbas) est le seul avec qui il peut négocier. Toutefois, simultanément, il mine sa légitimité. Dans l’histoire, tous les empires ont fini par raisonner seulement sur le court terme, puis se sont écroulés.

Depuis la seconde Intifada, la politique n’est pas celle de mettre fin au «conflit», mais de le gérer. Beaucoup d’Israéliens pensent qu’il n’y a pas d’avenir et ils se déplacent politiquement à droite. Le niveau de racisme et de violence actuel est terrible; mais, en même temps, c’est l’expression d’une extrême faiblesse. C’est ce qui me donne un peu d’espoir. (2 août 2014)

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[1] Le 31 juillet, Florence Beaugé écrit: «De tous les secteurs de l’économie israélienne, le tourisme est le plus frappé par l’opération «Bordure protectrice»… Guides, chauffeurs de taxi, restaurateurs et hôteliers lèvent les yeux au ciel dès qu’on les interroge sur leur business. S’ensuit souvent une explosion de colère contre le gouvernement de Netanyahou “qui sait prendre l’argent aux citoyens mais jamais leur rendre quand il le faudrait”…  Alors qu’elle était en pleine croissance les dernières années, l’industrie du tourisme devrait enregistrer, entre juillet et septembre de cette année, une perte d’au moins 644 millions de dollars, voire le double, si l’on en croit Psagot, la plus grande firme d’investissements et de placements d’Israël.» (Le Monde)

Toutefois, les revenus issus du tourisme sont quelque neuf fois inférieurs à ceux provenant des exportations de haute technologie, au sein desquelles l’éventail des divers armements occupe une place de relief.

La journaliste du Monde cite l’économiste israélien Jacques Bendelac qui affirme : «C’est la première fois que l’on mobilise autant de soldats [environ 50’000], du jamais-vu dans les conflits précédents, y compris au Sud-Liban.» L’économiste mentionné craint les effets économiques d’un prolongement de l’opération «Plomb durci» de quelque 8 à 10 jours. Les coupes dans les programmes sociaux suscitent chez lui une inquiétude. Il en explicite la cause : «Un quart des Israéliens vit en dessous du seuil de pauvreté, le double d’il y a dix ans.» Seule l’économie chilienne bat ce record au sein des pays membres de l’OCDE. (Réd. A l’Encontre)

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