Jugement des militants BDS à Perpignan

06.09.2013

Categories: Attaques contre BDS, BDS-Arguments

Le 3 septembre, l'Association France-Palestine a publié le texte de la décision du Tribunal de Grande instance de Perpignan, ainsi qu'une analyse détaillée. 

Lisez l'article et les décisions du tribunal ici. 

 

Analyse par Ghislain Poissonnier

Un jugement rendu le 14 août 2013 par le tribunal correctionnel de Perpignan illustre une nouvelle fois le caractère juridiquement fragile des poursuites pénales engagées contre des militants associatifs appelant à ne pas consommer des produits en provenance d’Israël.

Le 15 mai 2010, vers 9 heures 30, un groupe d’environ 25 personnes pénétrait dans le magasin carrefour de Perpignan et y distribuait des tracts, dépliait une banderole et tenait des discours relayant la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) contre la politique de l’Etat d’Israël en vue d’obtenir le respect du droit international. Cette action avait pour but de convaincre les clients du magasin de ne plus acheter des produits israéliens.

Aucun fait de violence ni aucune dégradation n’était commis. Une délégation de manifestants était reçue par les représentants de la direction des magasins carrefour qui ne déposait aucune plainte à l’issue de cette action qui se terminait vers 11 heures 30. Une vidéo tournée lors de l’action conduite par les militants était placée sur des sites internet associatifs. Le bureau national de vigilance de lutte contre l’antisémitisme consultait la vidéo et le 1er juin 2010 déposait plainte auprès du parquet de Perpignan, qui diligentait une enquête. Le service de police saisi visionnait la vidéo et parvenait à y identifier trois personnes, qui étaient auditionnées et reconnaissaient les faits.

Le parquet décidait d’engager des poursuites pénales devant le tribunal correctionnel de Perpignan. Le 16 septembre 2010, une convocation par officier de police judiciaire était remise aux trois militants. Elle visait l’infraction de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (art. 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881). Lors du procès qui s’est tenu le 20 juin 2013, les trois prévenus, qui contestaient la qualification juridique des faits, soulevaient un certain nombre de nullités. Par jugement du 14 aout 2013 (n°1738/2013), le tribunal correctionnel de Perpignan prononçait à titre principal la nullité des citations délivrées. La juridiction n’a donc pas statué sur le fond, à savoir sur la légalité de l’appel citoyen au boycott des produits israéliens. Toutefois, elle n’a pas manqué de relever la difficulté à laquelle s’est heurtée le parquet pour qualifier pénalement les faits.

C’est en ce sens que le jugement rendu est intéressant. Le tribunal a relevé dans le texte de la citation un manque de précision quant aux faits reprochés : « la précision selon laquelle le discours proféré consistait à demander de ne pas acheter des produits en provenance d’Israël est totalement insuffisante, dans la mesure où il est essentiel de savoir pour l’exercice des droits de la défense et pour le tribunal pourquoi cette demande était faite, quel était son fondement, par quel propos et quel discours elle se manifestait ». Pour le tribunal, « le raisonnement précédent concernant les discours proférés s’applique de façon identique aux écrits distribués ou exposés dans un lieu public et aux tracts à en-tête de BDS appelant au boycott des produits en provenance d’Israël ». En effet, « seule la mention précise du contenu des écrits pouvait être de nature à permettre à la défense de s’exprimer pleinement et au tribunal de connaître précisément le périmètre de sa saisine ». La juridiction a également relevé dans le texte de la citation des incohérences quant à la prévention : soit aucun texte d’incrimination n’était visé à l’appui du libellé énonçant la poursuite ; soit le texte visé ne correspondait manifestement pas à l’infraction annoncée ; soit encore le texte visé ne correspondait pas aux faits reprochés.

Ces éléments ne permettaient pas non plus au tribunal de « définir le périmètre de sa saisine ni d’analyser a fortiori la culpabilité des prévenus ». Cette difficulté à laquelle s’est heurtée le parquet révèle en réalité l’impossibilité de qualifier pénalement des faits relevant manifestement de la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général. En France, les poursuites pénales contre les militants associatifs appelant à ne pas consommer de produits israéliens sont récentes et constituent un cas unique en Europe, alors que la campagne BDS est active également chez nos voisins. Elles ont pour origine l’adoption d’une directive par le ministère de la justice (CRIM-AP n° 09-900-A4, 12 févr. 2010), qui considère que l’appel lancé par un citoyen au boycott des produits d’un Etat est susceptible de constituer une infraction de « provocation publique à la discrimination », nécessitant de la part des procureurs de la République une répression « ferme et cohérente ». Les poursuites engagées reposent une interprétation extensive du droit pénal qui impose la combinaison de deux textes sans lien et dont les objets sont totalement distincts, à savoir, d’une part, l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 qui réprime l’incitation à la discrimination contre les individus et, d’autre part, l’article 225-2 2° du code pénal qui réprime l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique. Le premier texte a été introduit par la loi n°72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, laquelle avait pour objet la transposition en droit interne de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965 en vue de permettre la lutte contre toutes les formes de « discrimination entre les êtres humains pour des motifs fondés sur la race, la couleur ou l’origine ethnique ». Le second texte est issu de la loi n°77-574 du 7 juin 1977 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier adopté en vue de protéger les entreprises françaises qui se heurtaient à un boycott de certains Etats membres de la Ligue arabe lesquels subordonnaient leurs contrats à une cessation de toute relation commerciale avec Israël.

Il n’est dès lors pas étonnant que les juridictions du fond, tenues de faire une interprétation stricte des textes de droit pénal, annule les poursuites engagées ( TGI Pontoise, 14 oct. 2010 n°0915305065 ; CA Paris, p. 2, ch. 7,n°11/05257, 28 mars 2012) ou relaxent les prévenus (TGI Paris, 8 juil. 2011, n° 0918708077 ; TGI Mulhouse, 15 déc. 2011, D. 2012 p. 439 ; TGI Bobigny, 3 mai 2012, n° parquet09-07782469 ; CA Paris, p. 2, ch. 7, n° 11/6623,24 mai 2012).

 

 

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