D'excellents drones et d'excellents films ne compensent pas l'absence de respect des Droits humains

20.04.2015

Categories: Boycott culturel

Lettre ouverte de BDS Suisse

Le mouvement BDS-Suisse, qui soutient l'appel palestinien Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), fait part de sa grande déception à voir la direction du Festival del film Locarno ignorer les appels réitérés de nombreux et nombreuses cinéastes à annuler sa coopération prévue avec l'État d'Israël dans ses efforts de blanchiment culturel. Le Festival del film Locarno a les moyens de présenter des films de cinéastes israélien-ne-s sans avoir à collaborer avec les institutions d'un État voyou. Nous sommes consterné-e-s d'apprendre que la direction du Festival a souhaité cette collaboration, et qu'elle continue à la défendre, avec des institutions israéliennes complices de graves violations des Droits humains.

Alors que les autorités israéliennes s'en prennent à la culture palestinienne, ferment les théâtres palestiniens et empêchent les cinéastes palestinien-ne-s de se rendre à des festivals internationaux où ils-elles sont invité-e-s (les réalisatrices palestiniennes Alaa Desoki et Athar Al Jadili, invitées à l'édition 2014 des Rencontres Palestine: filmer c'est exister se sont vues refuser par Israël, le droit de venir à Genève)1, le Ministère israélien des affaires étrangères mène une campagne de propagande en utilisant le cinéma et la culture comme des trompe-l'oeil afin de détourner l'attention de l'opinion publique loin de la brutalité de son régime de près de 70 ans d'apartheid, de brutale colonisation, d'occupation et d'épuration ethnique des Palestinien-ne-s. En choisissant pour partenaires les institutions israéliennes, le Festival de Locarno se fait lui-même un instrument au service de la violence et de la guerre, et un complice des violations continuelles du droit international par l'État d'Israël.

Depuis 2004, des artistes et des intellectuel-le-s palestinien-ne-s ont appelé leurs collègues de la communauté internationale à boycotter complètement et systématiquement toutes les institutions académiques et culturelles israéliennes, comme un acte de solidarité et une contribution à la lutte pour mettre fin à l'Occupation, à la colonisation et au système d'apartheid israéliens. Tout comme le boycott contre l'Afrique du Sud à l'époque de l'Apartheid, le boycott culturel contre Israël constitue la manière la plus efficace pour les artistes et les professionnel-le-s des industries culturelles de soutenir concrètement les droits des Palestinien-ne-s par des actions qui sont à leur portée.

En février 2015, la direction du Festival de Locarno a annoncé son partenariat avec l'Israel Film Fund pour la cinquième édition de son initiative Carte blanche2. En avril, la Campagne palestinienne de boycott culturel et académique d'Israël (PACBI) a publié un appel signé par plus de 200 professionnel-le-s du cinéma dont Annemarie Jacir, Elia Souleiman, Ken Loach, Jean-Luc Godard, Francis Reusser, Stina Werenfels, Simone Bitton, Dominique de Rivaz et Eyal Sivan3, demandant l'annulation de ce partenariat. Nous sommes consterné-e-s de constater que la direction du Festival soit prête à offrir une séance de relooking à l'oppression et à l'apartheid.

Les mots nous manquent face aux arguments balbutiants et à la mauvaise foi de la direction du Festival del film Locarno. Au micro de la Radio-Télévision suisse (RTS)4, son directeur artistique Carlo Chatrian, a expliqué que le Festival – l'un des rendez-vous cinématographiques les plus importants et les mieux subventionnés du monde – est obligé de collaborer avec l'Israel Film Fund et le Ministère des affaires étrangères israélien car il ne peut se passer de l'argent que ces derniers lui offrent pour couvrir le coût, dérisoire, des billets d'avion de cinq à sept cinéastes. Vraiment ? Si bas est donc le prix de la « rançon du péché » ? 3'500 francs suisses est tout ce qu'il en coûte pour qu'une institution culturelle suisse de pointe devienne la complice de la négation systématique des Droits humains de millions de Palestiniens-ne-s ? En geste de solidarité face à l'apparent dénuement du Festival de Locarno, nous proposons de réunir cette somme sur Wemakeit ou Kickstarter pour que la direction du Festival puisse finalement s'offrir une bonne conscience.

Pendant sa session de juin, le Parlement suisse discute du Programme d'armement militaire pour 2015, qui comprend l'acquisition de drones Elbit Systems Hermes 900 pour 250 millions de francs suisses. Comme les marchand-e-s d'armes israéliens n'ont eux-mêmes aucune honte à l'admettre que l'Occupation est un « l'avantage compétitif » qui permet à Israël d'être le leader mondial de la fabrication de drones. Car les drones, comme d'autres équipements militaires israéliens, sont testés sur les Palestinien-ne-s. Rien que lors de l'assaut meurtrier sur la bande de Gaza de l'été 2014, 840 personnes, soit 37% du bilan des mort-e-s, ont été tué-e-s avec des drones5.

De façon révélatrice, cette année, en Suisse, les acheteurs-trices de matériel militaire et les responsables de la culture ont recours au même argument pour justifier leur manque de principes. De la même manière que le conseiller fédéral Ueli Maurer, chef de l'armée suisse, a défendu la supériorité des drones israéliens, le Festival du film de Locarno a répondu aux critiques adressées à sa coopération avec la propagande israélienne en évoquant « une cinématographie originale, qui reflète les multiples réalités d’aujourd’hui »6. Soyons clairs : personne ne nie la force de l'industrie cinématographique israélienne, tout comme personne ne nie qu'Israël soit un fabricant d'armes “talentueux”. Le mouvement BDS-Suisse demande aux responsables de nos institutions culturelles et politiques qu'ils–elles fassent prévaloir la vie, la dignité, la liberté et l'égalité sur l'opportunisme, le profit et l'utilitarisme et qu'ils-elles expriment cet engagement par des actes et non par des platitudes : NON à la collaboration avec les institutions israéliennes et NON à l'achat des drones israéliens ! OUI à l'isolement de l'État d'Israël jusqu'à qu'il remplisse pleinement ses obligations en droit international et respecte les droits des Palestinien-ne-s.

De la même manière qu'en 2011, nous nous étions adressé-e-s aux acteur-e-s culturel-le-s en Suisse à l'occasion du festival Culturescapes Israel, en 2015, le mouvement BDS-Suisse saisit cette nouvelle occasion pour rappeler aux cinéastes et aux professionnel-le-s du cinéma, l'appel à la solidarité du PACBI.7. Nous demandons aux organisateur-trice-s de festivals en Suisse de s'abstenir de toute collaboration avec les institutions d'État israéliennes, et nous demandons aux cinéastes  de faire acte de solidarité avec le peuple palestinien en refusant toute invitation à présenter leurs films en Israël.

1 Rencontres Palestine: Filmer c’est exister (PFC’E). Deux cinéastes palestiniennes empêchées de venir présenter leurs films en Suisse, 27 novembre 2014 http://www.palestine-fce.ch/2014/pfce/97-communique-271114
2 Festival du film de Locarno. Carte Blanche 2015 : coup de projecteur sur Israël http://www.pardolive.ch/fr/Pardo-Live/today-at-the-festival/2015/carte-blanche-2015.html?sl=fr#.VXsQQ1zx8y4
3 Appel Lettre ouverte au Festival du film de Locarno : « Ne donnez pas carte blanche à l’apartheid israélien »  http://www.bds-info.ch/index.php/fr/home-fr/158-bds-fr/campagnes/bds-suisse/boycott-culturel-academique/1022-des-cineastes-au-festival-du-film-de-locarno-ne-donnez-pas-carte-blanche-a-l-apartheid-israelien#sthash.sLckLlfi.dpuf (texte original : http://pacbi.org/etemplate.php?id=2702)
4 Radio-Télévision Suisse, RTS La Première : Forum, 13 mai 2015. La "Carte blanche" du Festival de Locarno aux films israéliens dérange http://www.rts.ch/audio/la-1ere/programmes/forum/6758976-la-carte-blanche-du-festival-de-locarno-aux-films-israeliens-derange-13-05-2015.html
5 Corporate Watch, 20 février 2015. Gaza : Life beneath the drones http://www.corporatewatch.org/news/2015/feb/20/gaza-life-beneath-drones
6 Réponse du Festival du film de Locarno à l'appel des cinéastes. A propos de la Carte Blanche dédiée au cinéma israélien http://www.pardolive.ch/fr/Pardo-Live/today-at-the-festival/2015/carte-blanche-israel.html?sl=fr#.VXsdxFzx8y4
7 Appel PACBI au boycott académique et culturel d'Israël, 6 juillet 2004 http://www.bdsfrance.org/index.php?option=com_content&view=article&id=11&Itemid=13#appel (Texte Original : http://pacbi.org/etemplate.php?id=869 )

Questions fréquemment posées

Qu'est-ce que l'appel BDS et qu'est-ce que l'appel PACBI? Comment les gens en Suisse ont-ils répondu jusqu'ici à ces appels ?

En 2005, la société civile palestinienne a lancé un appel pour une campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions contre l'État d'Israël (l'appel BDS) jusqu'à ce qu'il se conforme au droit international et respecte les Droits des Palestinien-ne-s8. Il faisait suite à un précédent appel adressé par des artistes et des intellectuel-le-s palestinien-ne-s (l'appel PACBI) à leur collègues dans le monde pour qu'ils-elles boycottent les institutions culturelles et académiques israéliennes en solidarité avec les Palestinien-ne-s9. En 2011, pour dénoncer la vitrine offerte à Israël lors du festival Culturescapes Israel, le mouvement BDS-Suisse a écrit une lettre ouverte aux professionnel-le-s suisses de la culture10 pour les informer de cette campagne et en appeler à leur solidarité. Suite à cette lettre, 170 artistes et travailleurs-euses de la culture en Suisse ont signé une déclaration de solidarité et un engagement à respecter le boycott11.

Contrairement aux insinuations avancées par le Festival du film de Locarno, nous n'appelons nullement à imposer une quelconque limite à la liberté d'expression pas plus que nous ne demandons d'aucune façon de réduire l'éventail des cinéastes et des films sélectionnés12. Le boycott culturel d'Israël est précisément limité aux institutions afin, autant qu'il est possible, de ne pas interférer dans l'expression de la culture ni dans la diffusion des idées. Cependant, il importe de ne pas réduire la discussion sur l'impact culturel du boycott à la seule culture promue par Israël. Le financement de la culture par Israël est hautement politique et raciste. Par exemple, en 2013, les subventions au théâtre arabe inscrites au budget israélien se sont élevées à moins de 0.06% du total des allocations accordées aux théâtres, alors que les Palestinien-ne-s représentent 20% des citoyen-ne-s. La nature raciste du subventionnement israélien des arts fait que l'allégation des responsables du Festival du film de Locarno selon laquelle, en fournissant à Israël une vitrine, il démontre son engagement à être « un lieu de liberté d'expression [...] sans distinction d'ethnie, de confession, de nationalité », relève de la plaisanterie. En fait, les festivals qui refusent de collaborer avec les institutions israéliennes, auraient l'opportunité de découvrir un paysage culturel plus large et représentatif que celui qui leur est servi sur un plateau par les organes officiels.

De plus, à Jerusalem Est et en Cisjordanie, des institutions culturelles sont régulièrement attaquées et perquisitionnées, des artistes sont empêché-e-s de voyager et l'accès à l'éducation et aux échanges professionnels est systématiquement nié13. Plus encore, quand la société toute entière est l'objet d'attaques, cela touche également gravement les artistes. Ainsi, lorsqu'on parle de culture, nous ne devrions pas oublier cet effet additionnel, et lorsqu'on parle de la libre circulation des arts et de la culture, ne pas perdre de vue la violence régulière, quotidienne et extraordinaire dont les Palestinien-ne-s font l'objet. Faire pression sur Israël par le boycott culturel non seulement n'entrave pas la culture mais peut aider les artistes victimes de graves attaques couvertes par le silence, et dont les droits à l'expression culturelle et à la liberté de parole sont niés jour après jour.

Beaucoup d'États violent ces droits et beaucoup d'artistes dépendent de subsides publics. Pourquoi alors, par exemple, ne pas boycotter les artistes suisses ?

Le boycott d'Israël répond à une demande de solidarité provenant des Palestinien-ne-s. C'est une tactique non-violente efficace et une forme de pression que les Palestinien-ne-s ont choisie, et non une tentative de notre part d'exprimer notre pureté morale. Le boycott de l'Afrique du Sud au temps de l'Apartheid ne fut pas contesté parce que des abus de Droits humains étaient commis en Argentine durant la même période. C'était la réponse apportée à l'appel à la solidarité lancé par la résistance sud-africaine. L'argument qui dit : “d'autres font la même chose ou pire”, ne sera jamais acceptable. Si tel était le cas, toute demande de justice devrait être reportée tant que toutes les infractions ne seraient pas mises sur le tapis et tant que les pires d'entre elles n'auraient pas été traitées en premier. Qui tirerait profit de cela sinon ceux-celles qui jouissent déjà d'impunité?

Les cinéastes israélien-ne-s sont souvent des dissidents et des critiques du gouvernement. Le boycott que vous préconisez n'attaque-t-il pas les mauvaises personnes, celles-là même qui, parmi les Israélien-ne-s, sont du bon côté?

Non, nous ne militons pas pour le boycott d'artistes pris individuellement, nous ne demandons pas que le Festival du film de Locarno supprime l'invitation aux cinéastes israéliens-ne-s. Nous appelons à rompre tout lien avec les institutions de l'apartheid, y compris les institutions culturelles qui se mettent volontairement au service de la propagande de l'État d'Israël. Les artistes israélien-ne-s ont le choix de refuser que leur art et leur nom soient utilisés pour créer une image positive de l'État; ils-elles sont invité-e-s à rejoindre les rangs du boycott, à l'instar d'un petit nombre d'entre eux-elles qui ont déjà fait le pas.

Quand bien même nous n'appelons pas au boycott d'artistes, il est hautement trompeur de présenter la scène artistique en Israël comme intrinsèquement progressiste et comme un allié de l'exigence de justice des Palestinien-ne-s. Seule une poignée d'artistes israélien-ne-s a adopté une position sans ambiguïté contre la violence incessante de l'État et pour l'égalité. Aucune institution culturelle israélienne ne l'a fait. En effet, cette fausse image, largement acceptée et répandue, de la culture israélienne, est en elle-même un parfait exemple de la manière dont Israël utilise les arts et la culture pour s'acheter une image favorable  dans le but de contrer les demandes de justice.

La vitrine offerte à Israël n'est-elle pas identique à celle offerte par le Festival de Locarno à d'autre régions ou États?

Alors que beaucoup d'États commettent des violations des Droits humains, Israël est l'unique d'entre eux à utiliser la culture pour se présenter comme un bastion du progrès humain tandis que, dans les faits, il est l'un des pires violateurs des Droits humains, comme le dénoncent régulièrement les organisations de défense des Droits humains et le Conseil des droits de l'homme de l'ONU. En se prêtant à l'instrumentalisation de la culture par Israël pour détourner l'attention des faits rapportés sur ses pratiques, le Festival du film de Locarno ne donne pas, comme il le prétend, « la parole à des auteurs dérangeants, à des cinématographies peu considérées, à des réalisateurs opprimés ou en exil »14. Il offre plutôt une tribune à l'arme de propagande d'un État d'apartheid.

8 Campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) http://www.bdsmovement.net/
9 Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d'Israël (PACBI) http://www.pacbi.org/
10 Lettre ouverte Culturescapes Israel. Une vitrine pour l'apartheid en Suisse ? http://www.bds-info.ch/index.php/fr/component/content/article/158-bds-fr/campagnes/bds-suisse/boycott-culturel-academique/307-culturescapes-israel-une-vitrine-pour-l-apartheid-en-suisse#sthash.LqXBvfy8.dpuf
11 Déclaration des artistes en Suisse. Nous refusons d'être complices ! http://www.bds-info.ch/index.php/fr/campagnes/bds-international/boycott-culturel-academique/236-declaration-des-artistes-en-suisse
12 Cf. note 6 : A propos de la Carte Blanche...
13 Haaretz.co.il, 22 mai 2015 (lien en hebreu) http://www.haaretz.co.il/gallery/black-flag/.premium-1.2640239
14 Cf. note 6 : A propos de la Carte Blanche...

 

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