Lettre ouverte à Guilherme Botelho, chorégraphe et directeur d'Alias-Cie

22.08.2011

Categories: Boycott culturel

Le public qui vous a connu à Ramallah ne pourra pas vous admirer à Tel-Aviv: l'armée israélienne se moque que des Palestiniens aiment votre danse.

 

 

Genève, le 22 août 2011

Langue originale : français

 

Cher Guilherme Botelho,

C'est avec consternation que nous apprenons que vous vous apprêtez à présenter votre spectacle Sideways Rain en Israël. Vous êtes l'un des chorégraphes les plus prestigieux de Suisse. Présentés à l'étranger, vos spectacles ouvrent les portes des scènes internationales à d'autres artistes de ce pays. En vous adressant cette lettre ouverte, nous mesurons donc l'importance de l'événement auquel vous vous préparez à participer. Nous souhaitons invoquer votre responsabilité politique d'artiste et de citoyen et espérons, par la seule force morale de nos arguments, de vous convaincre de faire un geste fort et d'inverser le sens des choses.

En vous adressant cette lettre ouverte, le mouvement BDS se rappelle qu'en 2008, vous aviez présenté votre spectacle Approcher la poussière à Ramallah. Ce faisant, vous aviez offert un moment de bonheur au public palestinien et honoré de votre présence un peuple qui lutte pour sa survie et sa liberté. En allant danser à Tel-Aviv, aujourd'hui, vous faites le contraire. Votre visite sera considérée par le pouvoir israélien comme une légitimation artistique de ses agissements qui violent les droits humains et les conventions humanitaires. Vous participerez ainsi à la construction d'une fausse symétrie entre les oppresseurs et les opprimés.

Depuis des dizaines d'années, l'État d'Israël se moque d'agir illégalement malgré les protestations officielles de partout dans le monde. Le droit au retour est dénié aux réfugiés palestiniens ; la population palestinienne en Israël subit d'importantes discriminations légales ; la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est sont toujours sous occupation ; les colonies augmentent en nombre, grandissent, et l'armée israélienne garantit que les colons aient davantage de droits que les autochtones ; des citoyens palestiniens de Jérusalem sont régulièrement expulsés de leurs maisons ; le Mur de séparation avance en Cisjordanie au mépris de tous les avis de droit ; la population de Gaza est toujours soumise au blocus, et l'armée israélienne harcèle, jusque dans les ports étrangers et en haute mer, les militants solidaires qui cherchent à le briser. De nombreux juristes ont reconnu les traits de l'Apartheid dans cette politique d'oppression systématique.

Devant l'impuissance des gouvernements, la société civile palestinienne s'est unie pour lancer un appel au boycott de l'économie et des institutions officielles de l'État d'Israël. Les citoyens conscients, et parmi eux aussi les artistes et les intellectuels, sont appelés à exercer une pression pacifique pour obliger Israël à respecter ses obligations internationales.

Cher Guilherme Botelho, la ville où vous emmenez vos danseurs, Tel-Aviv, est à 60 kilomètres de Ramallah. C'est plus près que pour un spectateur de Lausanne qui irait assister à l'un de vos spectacles au Théâtre Forum Meyrin. Et pourtant, ceux qui vous ont connu en 2008 à Ramallah ne pourront pas vous admirer à Tel-Aviv en 2011, parce que l'armée d'occupation n'a jamais reconnu aux Palestiniens le droit de circuler librement. L'armée israélienne se moque que des Palestiniens aiment votre danse. Dans l'autre sens, on sait aussi que les militants pacifistes désireux de se rendre en Cisjordanie sont également bannis de la ville. Il y a seulement quelques semaines, des centaines d'entre eux ont été refoulés, sur demande du pouvoir israélien, à l'aéroport de Genève-Cointrin, à Paris et à Bruxelles, alors qu'ils s'apprêtaient à prendre l'avion. N'est-il pas gênant d'être invité à présenter une oeuvre d'art, pacifique par essence, dans une ville d'où sont bannis les militants pacifistes ?

Tel-Aviv, ainsi que le centre Suzanne Dellal, la prestigieuse scène où vos danseurs vont se produire, voudraient être les devantures blanches et propres d'un État maculé de rouge par ses gouvernants. Mais la réalité est plus crue. Tel-Aviv comptait 50'000 habitants arabes en 1948. Ils ne sont plus que 4'000 aujourd'hui, concentrés dans un seul secteur de la ville. Le centre Suzanne Dellal est situé à deux pas du quartier palestinien de Al-Manshiyya, détruit après 1948 pour faire place à des grattes-ciel et à un parc public. La plupart des habitants palestiniens de la ville ont été obligés de quitter leurs maisons et, dans leur majorité, ont été obligés de s'installer à Gaza (1). Que ce soit à Tel-Aviv ou ailleurs, Israël mène une politique de nettoyage ethnique visant à supprimer toute présence humaine palestinienne et à effacer toute trace de leur culture. Il y a seulement quelques jours, un comité gouvernemental a été créé en vue d'hébraïser les noms des villes, des villages et des quartiers arabes en Israël (2).

En conséquence, cher Guilherme Botelho, nous vous demandons d'annuler votre spectacle à Tel-Aviv, prévu pour le mois d'octobre prochain.

À l'instar de nombreux artistes dans le monde, dont en Suisse Nicolas Wadimoff, Daniel Künzi, Frédéric Choffat, Alain Bottarelli, Steff Bossert, Mat Callahan et Michel Bühler qui, chacun à leur manière ont répondu positivement à l'appel au boycott lancé en 2004 et 2005 par les artistes palestiniens et les principaux acteurs de la société civile palestinienne, nous vous invitons à refuser d'honorer les manifestations organisées ou soutenues par les instances israéliennes officielles, et à refuser de vous produire dans les salles de spectacles qui servent de carte de visite à l'État d'Israël. Au contraire, nous vous proposons de vous inspirer de l'essayiste Naomi Klein, du musicien Roger Waters ou du philosophe Slavoj Zizek ou encore, des artistes de l'opération suisse Eternal Tour, qui ont contourné de manière créative les voies officielles et les institutions de l'État israélien pour permettre à un public minoritaire, mais conscient, en Israël, de connaître leur travail. Par la même occasion, nous vous encourageons vivement à permettre aux danseurs et aux chorégraphes palestiniens de profiter à nouveau de votre expérience.

Avec nos cordiales salutations

 

Pour le mouvement BDS en Suisse :

Birgit Althaler (traductrice, Bâle) ; Gabriel Ash (Genève) ; Anne Delahaye(danseuse, Genève) ; Marion Droz, Lausanne ; Claudine Faehndrich (Neuchâtel) ; Mary Honderich (enseignante, Genève) ; Nicolas Leresche (danseur, Genève) ; Rania Madi (UN Legal Advocacy Coordinator, Genève) ; Jasmine Schmid(Technicien en analyses biomédicales ES, Bassersdorf) ; Roberto Ventrella(designer, La Chaux-de-Fonds).

 

A télécharger: version originale française .pdf
English version of the letter, .pdf

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